Portrait sur Lux Guyer: La première femme à avoir ouvert son bureau d’architecture en Suisse 

Née en 1894 à Zurich, Lux Guyer incarne une figure de l’avant-garde de l’architecture suisse. En 1924, elle ouvre son propre bureau d'architecture, devenant ainsi la première femme en Suisse à le faire, à une époque où l’indépendance professionnelle féminine était encore rare. Mariée en 1930 à l’ingénieur Hans Studer, elle refuse de se soumettre aux conventions matrimoniales et professionnelles de l’époque : elle conserve son nom et continue de diriger son bureau de manière indépendante.

ca. 1925

Son audace ne se limite pas à son rôle de pionnière. À la tête de son propre bureau, elle décroche de grands projets et s’investit particulièrement dans l’architecture sociale, comme en témoigne la Frauenwohnkolonie, un immeuble conçu pour les femmes travailleuses célibataires. Elle est également reconnue pour avoir dirigé la première exposition suisse sur le travail des femmes (SAFFA) en 1928.

Dans un milieu largement dominé par les hommes, Guyer parvient à s’imposer malgré plusieurs obstacles. Son statut de femme, ainsi que son architecture parfois jugée trop avant-gardiste, lui valent des difficultés à trouver des commanditaires et des acheteurs. Pour démontrer la viabilité de ses villas modernes, elle y emménage avec sa famille avant de trouver un acquéreur, accumulant cinq déménagements en 25 ans.

Cependant, sa détermination n’allait pas de pair avec un sacrifice personnel. Loin de l’image de l’architecte-génie dévouée uniquement à son travail, Lux Guyer savait aussi équilibrer sa carrière et sa vie privée. Son fils la décrit comme une mère présente et impliquée, tandis qu’elle se consacrait également à ses loisirs, notamment au jardinage, qu’elle pratiquait tôt le matin.

Frauenwohnkolonie Lettenhof

Lux Guyer a particulièrement marqué l’histoire de l’architecture sociale avec des projets comme la Frauenwohnkolonie de Lettenhof, construite entre 1926 et 1927. Ce projet, financé par des coopératives de femmes, proposait des logements fonctionnels et abordables pour les femmes célibataires et travailleuses, une première en Suisse. Le but était donc de construire des appartements simples, modernes, ni trop simples et ni trop chers. En 1983, le gta Institut de l’ETH a publié une monographie sur Guyer, dans laquelle il était mentionné que les locataires d’origine résidaient toujours dans la colonie, ce qui témoignait du succès architectural de cet immeuble.

L’ensemble comprenait quatre immeubles organisés autour d’une cour centrale qui formait un jardin commun. Trois étaient dédiés aux logements, conçus de façon à alléger les tâches ménagères, tandis que le quatrième abritait un espace communautaire. Ce bâtiment, était utilisé en tant que restaurant au rez-de-chaussé et comme appartements résidentiels à l’étage. Il était bien plus petit que les trois autres bâtiments qui l’entourait.

Le bâtiment se distingue pour son architecture rationelle et réfléchie. La façade est structurée autours de bande continue comportent trois type de fenêtres qui forment une trames régulière. Les linteaux saillants et les balcons en porte-à-faux créer des jeux de lumières qui participent à la création d’une composition volumétrique moderniste.

« Grâce à leur situation saine, orientée au sud-ouest, à l’abondante aération et à l’ensoleillement, aux larges fenêtres et aux bonnes installations sanitaires, les logements répondent à toutes les exigences de l’hygiène. Le chauffage central et les chauffe-eau électriques facilitent l’entretien ; les balcons, les placards muraux, les proportions harmonieuses et les couleurs apaisantes créent une atmosphère de bien-être ; les jardins avec des places assises, des baies et des fleurs donnent l’impression de ne pas être en location, mais chez soi.  »
— Rapport annuel de la Frauenzentrale

Dès son inauguration, ce projet a été salué pour sa capacité à répondre à un besoin urgent:

«  Zurich peut se vanter d’être la première ville suisse à offrir des logements aux femmes seules et travailleuses »
— Schweizerische Handwerker-Zeitung

Lux Guyer ne se distingue pas seulement comme une “femme architecte”, mais comme une avant-gardiste de l’architecture sociale en Suisse. À travers ses projets de logements destinés aux femmes actives et ses villas modernes sur les rives du lac de Zurich, elle a exploré de nouvelles façons d’habiter. Son parcours incarne aussi un modèle d’équilibre entre vie professionnelle et personnelle – un défi qui demeure toujours d’actualité dans le milieu de l’architecture.

Sources: 

ETH Zurich, “Die Architektin Lux Guyer.” 1983

Evelyne Lang, “Les premières femmes architectes de Suisse”, Diss., EPF Lausanne 1992, S. 347–429.

GTA Archiv. “Lux Guyer.” https://archiv.gta.arch.ethz.ch/nachlaesse-vorlaesse/lux-guyer

Susanne Schmid,  “Hintergründe zum gemeinschaftlichen Wohnen – Teil 2.” 2020, Baublog.

https://baublog.warmbaechli.ch/2020/05/hintergruende-zum-gemeinschaftlichen-wohnen-teil-2/

Chiara Personeni. “Frauentreffkuche Lettenhof.” Chair of Architectural Behaviorology, Momoyo Kaijima.
https://works.arch.ethz.ch/thesis/frauentreffkuche-lettenhof

Martin Bürlimann. “Die Frauenkolonie Lettenhof.” 2019, Wipkinger Zeitung. https://wipkinger-zeitung.ch/die-frauenkolonie-lettenhof/

Urs Studer. “Arktektin Lux Guyer.” 2005, Küsnachter Jahrheft.
https://www.ortsgeschichte-kuesnacht.ch/pdf/2005-2007/Kuesnachter-Jahrheft-2005-Architektin-Lux-Guyer.pdf

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